Au-delà de son engagement politique assumé visant à questionner la place de la femme dans notre société, Marie Labat pose un regard à la fois tendre et sans concessions sur ses modèles. La parole, le corps et ses attributs sont montrés sous la forme d’icônes sociales et d’objets détournés qui traitent avec humour et poésie de la question des caractéristiques du genre. Proche des femmes qu’elle invite dans ses images, l’artiste dévoile leur mémoire individuelle et collective, leurs révoltes et leurs dénonciations. Si les images nous montrent une vérité lapidaire, paradoxalement, les objets/ sculptures de Marie Labat érotisent, voire fétichisent le propos, faisant résonner cette exposition comme un brouhaha d’étonnements. L’exposition « Croquantes » rassemble des oeuvres plus particulièrement focalisées sur les femmes dans le monde agricole. Ce choix revêt une dimension autobiographique pour cette jeune artiste récemment diplômée à l’École Supérieure d’Art de Tarbes. L’ESA des Pyrénées / Tarbes.
Patrick Tarres
« Trois écrans de même format, posés en contigüit., qui alignent trois vidéos similaires. Quatre femmes filmées dans un même cadrage : une distance qui insiste sur la présence de chacune, dans ce paysage là. Elles s’arrêtent, regardent, repartent. Quatre fois des paysages, aux collines, champs, montagnes, ciel et lumière, qui se ressemblent. Quatre fois des promenades, souvent en compagnie de chiens, dans un pas lent, régulier, ou hésitant. Malgré leurs allées et venues, l’image maintient ces quatre femmes le plus souvent au centre, comme pour mieux souligner leur appartenance à ce milieu là. La proximité des trois écrans pose parfois des coïncidences d’horizons, de lointains de montagnes, des alternances de pentes herbues, de champs récoltés. L’une d’entre elles partage l’écran des trois autres, passant de l’un à l’autre. Il y a là comme un « triptyque » d’images mouvantes, qui vient « solenniser » ou simplement « célébrer » des balades qui semblent ordinaires.
Ces femmes sont mère, tante, ou voisine de Marie Labat, et l’artiste a choisi de les filmer se promenant dans leur paysage, leur pays devrait-on dire. Pays parce qu’il est un lieu habité de la vie de chacune, qui tour à tour se raconte. Pays qui est alors caractérisé des intonations et accents communs à ces femmes adossées aux Pyrénées. Des voix distinctes, des récits qui se succèdent et qui viennent se superposer aux images mêlées. Et ce morceau de pays devient ce qui les absorbe par le travail, ce qui les enferme par l’assujettissement qu’il produit, ce qui les cerne comme frontière : « Et on ne pouvait pas partir On n’est jamais parti. ». Un territoire auquel elles sont attachées par leur métier, lié souvent aux choix de leurs maris ou à un héritage familial. Agriculture et élevage ont obligé leurs vies. Et comme les images interchangeables d’un écran à l’autre et qui tournent en boucle, leurs voix singulières, racontent chacune à leur manière, la répétition inéluctable des mêmes gestes jour après jour : « Et c’est tous les jours pareil. ». Devant la réalité des récits, la promenade dans ces beaux paysages s’érige en fiction : c’est comme si l’artiste avait offert à chacune de ces femmes un temps d’arrêt pour une détente trop rarement vécue, un
moment de partage pour un autre travail. Fille, nièce, amie, l’artiste, vient ici cultiver son propre territoire, en nouant lieu et parole, par une rencontre avec les femmes qui ont construit et accompagné sa propre vie.
Un travail artistique comme un porte-voix, écho imagé de ce qui l’attache profondément, l’enracine. Puis, comme pour mieux arpenter ce territoire commun, Marie Labat imagine de nouveaux objets : Les bottes de sept lieues. Elles sont d’abord des bottes de travail, toutes pareilles, portées par nécessité jour après jour, quelle que soit la saison, et du même modèle pour les femmes comme pour les hommes. C’est dans les grandes bottes des hommes qu’elle a découpé et façonné des chaussures à la taille des femmes, forçant l’adaptation d’un pied masculin à la féminité de modèles variés. Les bottes ainsi allégées, obligeraient le pied des femmes à emboîter le pas de l’homme, et non sans humour à grandes enjambées à cause des semelles débordantes. Objets symboliques, qui viennent transgresser les genres et qui dans leur dénomination se veulent objets d’émancipation. Elles se présentent en cercle, comme une réunion pour une conversation ? Un complot ? Une révolte peut-être ? Objets qui offriraient alors la possibilité de franchir les limites de son propre territoire, de s’évader de soi même, pour peu qu’ayant choisi son propre modèle, on sache trouver en l’autre, la solidarité qui fera avancer à grands pas. Marie Labat, offrira aussi de grands portraits photographiques en pied, à ces femmes, dans une tenue vestimentaire qu’elles auront choisie, loin du « costume » endossé tous les jours de la semaine, pour le travail. C’est ainsi qu’elle produit des installations comportant vidéos, photographies, témoignages enregistrés, objets symboliques, qui sont autant de déclinaisons réfléchies, muries au contact direct des milieux du travail féminin, qu’elle côtoie longuement et qui engage un propos d’artiste à l’écoute de femmes ordinaires et souvent invisibles. »
Claire Paries